L’environnement béninois n’est pas encore favorable à l’agrobusiness
Entretien avec le Docteur Soulé Bio Goura, Consultant au Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (LARES)
« L’environnement béninois n’est pas encore favorable à l’agrobusiness »
Le Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (LARES) s’investit depuis plus d’une décennie dans les problématiques relatives à la gestion économique des Etats africains.
L’un de ses principaux consultants, Docteur Soulé Bio Goura nous entretient ici sur la question de l’agrobusiness qui est à l’ordre du jour actuellement, du fait de la mise en place du plan stratégique de relance du secteur de l’agriculture.
Faut-il encore le rappeler, entre le ministère du plan qui estime que le Bénin doit s’engager dans l’agro-business directement et le ministère de l’agriculture ainsi que les organisations paysannes qui choisissent une voie mixte par une association d’agrobusiness et d’agriculture de type familial, il y a une véritable ligne de fracture préjudiciable à la mise en œuvre du PSRSA.
L’Evénement Précis: Est-ce que l’agro-business est possible au Bénin ?
Dr Soulé Bio Goura: Toute forme de système de production ou d’exploitation est possible. Cela dépend de l’orientation et de la volonté politique qu’il y a derrière. Que ce soit l’agriculture familiale ou l’agro-business, il faut un certain nombre de mesures et de politiques pour que cela soit viable dans le contexte actuel. Si les pouvoirs publics optent pour l’agriculture familiale, ils mettront certainement toutes les incitations en place et ils pourront aussi développer des mesures pour atténuer les effets dévastateurs qu’on pourrait en attendre.
Quelles sont les principales contraintes?
C’est d’abord le financement, l’accès au crédit, la main d’œuvre qualifiée, le foncier et un ensemble de mesures pour promouvoir la commercialisation des produits. Actuellement, le taux de protection de notre marché est très faible. On a un système de financement qui est inadapté parce qu’on n’a pas une politique d’investissement qui encourage l’implantation des grandes entreprises. Ceci pourrait être un handicap. Notre pays n’est pas un pays destinataire des grands courants d’investissements mondiaux pour le moment. Ceci peut constituer également un véritable handicap.
Quel est l’état des lieux actuellement au Bénin en ce qui concerne l’agro-business ?
Pour le moment, on n’a pas encore de grande entreprise d’agro-business au Bénin. Il y a un seul qui tente d’émerger. C’est Agri-Satch qui essaie de promouvoir un peu l’élevage intégré avec l’agriculture dans sa ferme, d’aller jusqu’à la transformation et jusqu’à la mise en marché des produits. C’est le seul qui véritablement fait de l’agro-business.
Les autres sont de petits entrepreneurs qui se positionnent sur des segments précis de la filière, que ce soit au point de vue de la production ou de la transformation et peut-être de la mise en marché des produits. Donc, c’est le seul qui pour le moment s’essaie dans cet environnement qui n’est pas encore très bien développé au Bénin.
Est-ce que l’environnement béninois est propice à l’agro-business?
Il y a beaucoup de contraintes d’ordre foncier. Notre système foncier ne permet pas d’avoir beaucoup de terres aussi facilement qu’on le pense. Et surtout avec les dernières évolutions (l’octroi de titres fonciers aux producteurs par MCA par exemple), cela ne permet pas d’arriver à une politique de remembrement et d’acquisition de grandes surfaces pour rentabiliser les investissements.
Le second aspect, c’est comment mobiliser les fonds. On n’a pas de banque de développement agricole. On n’a que des banques commerciales. C’est maintenant que le gouvernement veut créer une banque de développement agricole. Peut-être que les guichets qui seront ouverts au niveau de cette banque et surtout les modalités d’accès au crédit avec les taux d’intérêts, permettront aux investisseurs potentiels d’intervenir dans ce secteur. Mais pour le moment, ce n’est pas encore ça.
Faut-il alors que l’Etat se rabatte sur l’agriculture de type familial ?
Le simple fait qu’on dise de développer l’agriculture familiale ne veut pas dire qu’il ne faut pas développer de l’industrie. C’est le caractère intégré qui est un problème. Il ne faut pas oublier que l’Etat a déjà signé au niveau régional une politique agricole qui affirme très clairement que le développement de l’agriculture en Afrique de l’Ouest doit reposer sur la modernisation des exploitations familiales agricoles.
C’est une affirmation forte et un engagement fort. Donc théoriquement, la politique au niveau national devrait être la déclinaison de cet engagement pris au niveau régional. Malheureusement, on constate que l’Etat prend des engagements au niveau régional, mais veut faire autre chose au niveau national. Maintenant, il faut qu’il se dote de moyens.
On apprend qu’il y a un tiraillement entre le ministère de l’agriculture et celui du Plan…
Oui, il y a un tiraillement parce que le ministère de l’agriculture, au nom du gouvernement du Bénin a déjà pris l’engagement de promouvoir l’agriculture familial en la modernisant, en lui apportant suffisamment d’incitations pour en faire le socle des transformations qu’il entend opérer dans le secteur agricole. Mais ici, le ministère du plan pense essentiellement qu’il faut développer l’agro-business. Pour le moment, on n’a pas d’instrument adapté à l’agro-business, même si on est en train de créer une banque de développement dont on ne connait pas exactement les modalités de fonctionnement ni la capacité à encadrer l’agriculture.
Est-ce que la révolution verte dont parle le Chef de l’Etat est alors un vain mot ?
On ne peut pas dire que c’est un vain mot parce que pour le moment, les petites mesures qui sont mises en place sont adressées aux petits producteurs, par exemple la facilitation d’accès aux intrants et aux petits matériels agricoles. Cela a permis d’accroitre le volume de production d’un certain nombre de spéculations. Cela peut présager les fondements d’une révolution agricole si ces mesures sont renforcées, densifiées et étendues à un plus grand nombre de producteurs. Cela a un coût qu’on aurait aussi dans le cas de l’agro-business. Si le gouvernement s’engage dans ce domaine, la révolution verte pourrait connaitre un succès.
Certains estiment que la régulation des flux démographiques pourrait être très difficile si l’on choisissait de développer l’agro-business au Bénin…
C’est normal. Parce qu’aujourd’hui on a un taux de croissance qui est de 2,8% et une production agricole qui tourne autour de 3 à 4% par an. Pour améliorer la productivité, il faut certainement faire partir un certain nombre de producteurs, ce qui ne veut pas dire qu’il faut faire disparaitre les exploitations familiales.
La modernisation des exploitations peut passer par la migration d’un certain nombre de personnes mais à qui il faut trouver de débouchés, soit en termes d’activités de service, soit en milieu rural, soit en milieu urbain. Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas encore une politique d’incitation pour aller vers cet élément-là. Dans tous les cas, je crois que l’agriculture familiale a encore du chemin à faire. Même si l’agro-business devrait intervenir, ce sera pour les années à venir.
Source: L’@raignée